Histoire des menuisiers

Un atelier de menuisier au 19e siècle
Un atelier de menuisier au 19e siècle |

© BnF

Le terme "menuisier" provient du latin "minutiare" (rendre menu). Car, contrairement au charpentier qui travaille les grosses pièces de bois, le menuisier n’œuvre que sur des petites pièces (mobilier, volets, panneaux, parquets…). Il est aussi appelé "charpentier de petite cognée". Si cette distinction est effective en 1280, le métier de menuisier s’est parfois confondu avec celui d’ébéniste ou de lambrisseur. On pouvait également appeler les menuisiers en fonction de leurs spécialités : huchers, huchiers, ou faiseurs de huche (spécialistes des meubles), huissiers faiseurs d’huis (spécialistes des portes et des fenêtres), lambrisseurs (murs intérieurs et plafonds)… Pendant l’Ancien Régime, les menuisiers faisaient partie de la grande corporation des Charpentiers.

Techniques d’assemblage en menuiserie
Techniques d’assemblage en menuiserie | © BnF
Le menuisier dresse une planche avec une grande varlope
Le menuisier dresse une planche avec une grande varlope | © BnF

Les menuisiers égyptiens

En Égypte ancienne, les menuisiers maîtrisent des techniques et des assemblages encore bien connus aujourd’hui, à l’image de la queue d’aronde, un procédé d’assemblage d’un tenon en forme de trapèze et d’une rainure emboîtés.
Le fameux temple de Salomon, décoré à l’intérieur par les menuisiers phéniciens et juifs, renfermait des lambris en bois de cèdre

Les menuisiers romains

Outils, ustensiles, instruments, moyens de transports romains
Outils, ustensiles, instruments, moyens de transports romains | © BnF

Les Romains emploient la menuiserie pour l’intérieur des bâtiments. Cette technique était d’ailleurs appelée opus intestinum ou ouvrage d’intérieur, et l’ouvrier chargé de cette tâche intestinarius
Le menuisier romain fabrique et met en place les portes, les plafonds, les parois, les boiseries, le mobilier et les ornementations. Certains outils sont venus jusqu’à nous, comme la scie, le marteau ordinaire de petite dimension, le maillet, le ciseau, la hachette, la râpe, le rabot et le bouvet.
Ainsi, on peut voir sur une peinture trouvée sur le site archéologique d’Herculanum deux petits génies ailés actionnant une scie très comparable à celle que les menuisiers utilisent aujourd’hui. Des colles à base de peau de taureau, très fortes, étaient fréquemment utilisées.

Un métier qui s’organise au Moyen Âge

Selon la nature de leur production, les menuisiers médiévaux portent des noms plus précis. Les huchiers travaillent les meubles, les huissiers sont spécialisés dans les portes et les fenêtres, les tourneurs ou lambrisseurs ont recours au bois pour les parties intérieures des bâtiments où il sert d’isolant efficace. Mais les frontières entre spécialités restent assez floues, car les compétences d’un huchier restent assez proches de celles d’un huissier.
Comme toute profession, celle de menuisier fait alors l’objet d’une réglementation dont on peut avoir un bon aperçu avec le Livre des métiers duprévôt de Paris, Étienne Boileau, paru en 1268. Ainsi, des officiers visitent les ateliers des menuisiers pour vérifier la qualité de la matière première et des objets fabriqués et s’assurer du respect des heures de travail (interdiction de travailler les dimanches et jours de fête et parfois même la nuit). Si le menuisier ne respecte pas ces règles, celui-ci doit payer des amendes ou se voit saisi de ses objets et de ses outils.
L’apprentissage dure quatre ans et tisse une relation très forte entre maître et apprenti. Un maître peut avoir un ou deux apprentis qu’il doit considérer comme des enfants : il leur garantit le couvert et le logis, ainsi que l’habillement et les outils. Comme dans beaucoup d’autres corporations, un aspirant doit, pour devenir maître, réaliser un chef-d’œuvre, c’est-à-dire un objet unique comme un escalier ou un objet de marqueterie.

Sol de briques disposées en chevrons
Sol de briques disposées en chevrons |

© BnF

Un mobilier léger et réduit, œuvre du "huchier"

Le menuisier spécialisé dans les meubles fabrique surtout des coffres et des bahuts, que l’on appelle huches, d’où son nom de "huchier". Ces meubles assez simples et faciles à transporter répondent aux modes de vie de l’époque. En effet, les hommes – surtout les rois et les nobles – voyagent beaucoup, et doivent posséder un mobilier réduit et léger que l’on emporte partout avec soi. Un coffre peut alors servir également de siège ou de petite table.
Malgré la relative simplicité de ces objets, le menuisier peut y créer quelque décoration : il grave ou sculpte des motifs ornementaux ou des scènes tirées de l’histoire religieuse ou de la vie quotidienne. Les autres commandes faites aux menuisiers concernent essentiellement le mobilier religieux, à l’image des stalles, ces alignements de sièges disposés le long des chœurs des églises. Les menuisiers fabriquent également les cercueils.

Ébénisterie et marqueterie, une spécialisation accrue

Réduction de profils et tracé de la volute en ébénisterie
Réduction de profils et tracé de la volute en ébénisteriee | © BnF

Après la Renaissance, les menuisiers du bâtiment se distinguent plus nettement des menuisiers spécialisés dans le mobilier. En effet, les corps de métiers développent peu à peu des compétences spécifiques et très complexes.
Ainsi, après les grandes découvertes de la fin du 15e siècle, l’arrivée des bois précieux venus du Nouveau Monde, d’Afrique et d’Inde renouvelle l’art des meubles : le métier d’ébéniste apparaît au 17e siècle. En France, les marqueteurs perfectionnent à l’extrême les techniques sophistiquées du placage et de la marqueterie pour le mobilier, mais aussi les parquets, les lambris, les portes et fenêtres.

Plafond de la salle de bal
Plafond de la salle de bal | © Vinca Hyolle
Reliure en marqueterie
Reliure en marqueterie | © BnF

Enseignes et estampillages : la reconnaissance d’un savoir-faire

Comme tout commerce, l’atelier de menuiser devait être signalé aux passants de la rue. Les illettrés étaient nombreux : il fallait trouver des moyens de communication plus universels que l’écriture. Ainsi l’équerre, le rabot et le compas de cette enseigne en fer expriment clairement l’activité de l’artisan.
On connaît les grands menuisiers du Moyen Âge et de la Renaissance principalement grâce aux archives écrites car ces derniers n’avaient pas coutume de signer leurs œuvres. Au 17e siècle, à la suite d’un conflit entre les menuisiers et les tapissiers, les premières estampilles (marques, signatures) apparaissent sur les œuvres. Jusqu’alors, les menuisiers constituaient le seul corps de métier à fabriquer les meubles tandis que les tapissiers tenaient le monopole de leur commercialisation. Rendue obligatoire à partir de 1637, l’estampille est la preuve de l’origine du meuble. Elle peut être authentifiée car une copie est déposée aux autorités.

Agricol Perdiguier et le compagnonnage

Enseigne de menuisier
Enseigne de menuisier |

© Bnus

À la fin du 18e siècle, certaines traditions ancestrales du métier de menuisier se voient bouleversées. La suppression des corporations par Turgot en 1776 libère les pratiques professionnelles : désormais, un ébéniste aura le droit de faire le travail du menuisier et vice versa. Le système de l’apprentissage, hérité du Moyen Âge, vole en éclats : la transmission du savoir-faire sort d’un modèle filial.
Néanmoins, le système du compagnonnage demeure, même s’il est affaibli par la Révolution industrielle qui voit un prolétariat peu qualifié et peu organisé. Les différentes sociétés de compagnonnage, souvent rivales, œuvrent pour la défense et la formation des ouvriers et artisans. L’état de compagnon s’obtient après s’être formé auprès d’un maître d’apprentissage, mais aussi après avoir fait son tour de France, au cours duquel l’aspirant compagnon rencontre des maîtres et étudie leurs techniques. Le tour de France peut durer plusieurs années et s’achève par la réalisation d’un "chef-d’œuvre".
Un menuisier, Agricol Perdiguer, tente de dynamiser et d’unifier le système du compagnonnage au 19e siècle. En 1839, il écrit Le Livre du compagnonnage, qui raconte de l’intérieur les pratiques des compagnons et rencontre un immense succès. Élu député lors de la fugace Seconde République en 1848, il poursuit son étude du compagnonnage avec Mémoires d’un compagnon en 1854-1855.