Du 12e au 14e siècle, une cathédrale en chantier

Façade occidentale de la cathédrale Notre-Dame de Paris
Façade occidentale de la cathédrale Notre-Dame de Paris | © BnF

D’agrandissement en agrandissement, Notre-Dame de Paris connaît plusieurs phases de construction du 12e au 14e siècle. La durée du chantier (presque deux siècles) lui permet de traverser les différentes évolutions du style gothique.

Un lieu sacré depuis l’Antiquité

Depuis l’Antiquité, l’emplacement où se trouve la cathédrale Notre-Dame de Paris est consacré à la religion, d’abord païenne puis chrétienne. Des fouilles archéologiques au 18e siècle ont permis de mettre au jour des vestiges d’un temple antique, des autels en pierre à l’effigie de divinités, dont Vulcain et Jupiter alors vénérés par les habitants des rives de la Seine.
La première église chrétienne de Lutèce (ancien nom de Paris) date de l’importation du christianisme en Gaule. L’interdiction de pratiquer le culte chrétien dans l’Empire romain oblige alors les chrétiens à se réunir dans des lieux discrets, voire secrets. La première église devait être cachée. En 313, la paix de l’Église décidée par l’empereur Constantin met fin à la persécution des chrétiens en Gaule. L’architecture chrétienne se développe. Deux édifices religieux se succèdent sur le site actuel de Notre-Dame. Une église est construite au 4e siècle, bientôt remplacée au 6e siècle par une basilique à cinq nefs dédiée à saint Étienne. Malgré ses dimensions importantes pour l’époque – elle était de hauteur et de largeur presque équivalente à Notre-Dame de Paris, mais deux fois moins longue –, Saint-Étienne n’est plus adaptée au nombre de fidèles, ni aux besoins de l’Église.

Aux origines de la cathédrale du 12e siècle

Construction du Temple de Jérusalem
Construction du Temple de Jérusalem |

© Bibliothèque nationale de France

Intronisé évêque de Paris en 1160, Maurice de Sully décide de remplacer l’ancienne basilique par un bâtiment dont la majesté et la splendeur doivent égaler, sinon dépasser, le Temple de Salomon ou la Jérusalem céleste décrits par saint Jean dans l’Apocalypse. Car ce temple mythique reste une référence centrale pour l’architecture religieuse. Conscient du rôle symbolique d’une cathédrale, l’abbé Sully prévoit dès le début du chantier l’emplacement du parvis, afin que les badauds et les fidèles ressentent dès le premier regard la grandeur du lieu, et donc de Dieu.
Quantité de savoirs techniques, de moyens matériels et financiers sont mobilisés. Les besoins importants en artisans spécialisés et en fonds expliquent aussi la durée d’un chantier comme celui de Notre-Dame de Paris.
La première pierre est posée en 1163 par le pape Alexandre III, mais il faut attendre 1345 pour que la cathédrale acquière la forme qui est toujours la sienne aujourd’hui.

Plusieurs phases, plusieurs styles

Plusieurs phases de construction se succèdent entre le 12e et le 14e siècles. La longueur relative du chantier, qui s’étend sur près de 200 ans, les nombreuses modifications décidées par les rois, les dommages subis lors de la Révolution ou les campagnes de restauration font de Notre-Dame de Paris une cathédrale au style gothique que l’on pourrait qualifier de “synthétique”, car il emprunte à différentes époques. On distingue schématiquement trois périodes pour le style gothique.
– Le gothique primitif (fin 12e-début 13e siècles) est encore proche du roman. Les édifices restent trapus et ne bannissent pas les arcs en plein cintre. Sur la façade apparaissent les "roses", grandes ouvertures circulaires subdivisées par des armatures ouvragées en pierre, le plus souvent munies de vitraux.
– Le gothique à l’apogée, ou gothique classique (milieu du 13e siècle) : l’arc brisé, plus résistant que le plein cintre, se généralise. Les édifices gagnent en hauteur et en légèreté.
– Le gothique flamboyant (fin 13e-15e siècles) : les décorations se multiplient et deviennent exubérantes. On parle de "flamboyant" en raison des sculptures en forme de hautes flammes qui habillent les édifices. Ce style est peu présent à Notre-Dame.

Le plan de Notre-Dame de Paris
Le plan de Notre-Dame de Paris | © BnF
Ouvrier pavant les routes menant à une ville médiévale
Ouvrier pavant les routes menant à une ville médiévale |

© BnF

De 1163 à 1190 : le premier édifice religieux

La construction des cathédrales gothiques est un phénomène étroitement lié au développement des villes médiévales à partir de la fin du 12e siècle. En 1161, Paris est en effet devenue la capitale politique des rois capétiens depuis Philippe Ier, et c’est aussi un centre économique important où une véritable ville d’artisans et de marchés est en train de s’édifier. La construction d’une cathédrale répond à ce double besoin d’accueillir plus de fidèles et de faire rayonner le prestige de la capitale.
Après près de 20 ans de travaux, en 1182, une première partie de la cathédrale est terminée. Elle permet déjà aux fidèles de pratiquer leur culte car elle comprend un chœur, avec des bas-côtés, des tribunes, des voûtes et le début du transept. De 1182 à 1190, sont ajoutés trois travées de la nef accolées au chœur, les bas-côtés ainsi que les tribunes – aussi appelés triforium (galerie ouverte, située au-dessus des bas-côtés). La cathédrale gagne ainsi en longueur et en hauteur.

Coupe et perspective de l’intérieur de Notre-Dame de Paris
Coupe et perspective de l’intérieur de Notre-Dame de Paris | © BnF
Notre-Dame de Paris : coupe transversale avec les arcs-boutants
Notre-Dame de Paris : coupe transversale avec les arcs-boutants
Intérieur de Notre-Dame de Paris
Intérieur de Notre-Dame de Paris |

© BnF

Les trois portails de Notre-Dame de Paris
Les trois portails de Notre-Dame de Paris | © BnF

De 1200 à 1250 : la façade et les trois portails

En 1196, la mort de l’abbé Sully affecte l’avancement des travaux : en l’absence de plans clairs, les maîtres d’œuvre hésitent sur la marche à suivre. De 1200 à 1250 se déroule la deuxième phase des travaux, marquée par des évolutions dans le style de l’édifice. La façade adopte le dessin d’un carré approximatif, de 43 m de hauteur sur 41 m de largeur, sur lequel sont posées les tours Sud et Nord qui culminent à 69 m. Cette structure dite "harmonique" évoque le symbole médiéval de la trinité : trois bandes verticales surplombent les trois portails, celui du milieu étant plus large. Chaque portail est dédié à un thème liturgique majeur. Ensemble, ils ont pour fonction de composer une bible de pierre, un livre d’images pour rendre visible et lisible l’histoire de la Bible aux croyants illettrés.

  • Le premier portail construit vers 1200 est consacré à sainte Anne, la mère de Marie. De conception gothique, on y voit la Vierge en majesté, c’est-à-dire Marie tenant l’enfant Jésus et trônant sur le monde terrestre. Jésus, entouré des symboles de son pouvoir et accompagné par deux anges, tient le Livre de la Loi.
  • Le deuxième portail est celui de la Vierge. Il se trouve à gauche, ou au nord. Datant des années 1210-1220, il représente la mort de Marie et son ascension au paradis où elle est faite reine du Ciel sous les yeux d’une assemblée d’anges et de patriarches. Selon la liturgie chrétienne de l’époque, elle remplit le rôle de sauveur de l’humanité. Dans ce portail, la sculpture ne fait plus corps avec le mur : on passe du bas-relief à la statue. De plus en plus dégagées de l’architecture, les statues perdent l’aspect immobile et fantastique des figures romanes.
  • Le dernier portail ajouté au centre de la façade dans les années 1220 est celui du Jugement Dernier. Il représente l’épisode du Jugement Dernier tel qu’il est raconté dans l’Évangile selon saint Matthieu. Sur le linteau inférieur, les morts ressuscitent et s’avancent devant l’archange Michel, en charge de juger leurs âmes. Les élus sont conduits, à droite du Christ, vers le paradis, tandis que les damnés suivent un Diable qui les entraîne en enfer, à gauche. Présidant à cette scène, le Christ apparaît en sauveur de l’humanité, entouré de sa cour céleste d’anges et de saints, représentés dans les voussures du portail.

L’édifice initial est également doté d’une nef et d’arcs-boutants en 1230. Les arcs-boutants sont ajoutés pour soutenir les murs qui ont été rehaussés, car la première nef était jugée trop sombre. Cette élévation de la voûte permet d’installer une galerie haute au-dessus du niveau des fenêtres. En effet, l’un des principes fondamentaux de l’architecture gothique est la concordance entre l’intérieur et l’extérieur de l’édifice. Le nombre et la taille des étages visibles à l’extérieur doivent parfaitement correspondre à l’architecture de l’intérieur de la cathédrale.
Enfin, une travée est également ajoutée au transept, pour préserver la forme en croix de l’ensemble.

Coupe et perspective de l’intérieur de Notre-Dame de Paris
Coupe et perspective de l’intérieur de Notre-Dame de Paris | © BnF
Notre-Dame de Paris : coupe transversale avec les arcs-boutants
Notre-Dame de Paris : coupe transversale avec les arcs-boutants

Les tours

La tour Sud est terminée en 1240 et la tour Nord en 1244. Cette dernière est réalisée sous la supervision de Jean de Chelles, le premier maître d’œuvre dont le nom est connu sur ce chantier.
Enfin, vers 1260, Pierre de Montreuil, remplaçant de Jean de Chelles, ajoute un portail à la croix du transept, sur commande du roi saint Louis (1214-1270). Il s’agit du portail Saint-Étienne, du nom du saint auquel la première cathédrale était dédiée.

1260-1320 : les roses

L’usage de la voûte sur croisée d’ogive permet aux bâtisseurs de construire plus haut, tout en libérant les murs de leur rôle porteur. Ils peuvent alors être percés de larges ouvertures. C’est ainsi que le gothique inaugure la rose, grande ouverture circulaire subdivisée par des armatures ouvragées en pierre, le plus souvent habillée de vitraux.
La rose Nord de Notre-Dame possède un diamètre de près de 13 m et développe 24 rayons sur trois cercles concentriques. Datant des années 1245, elle est dédiée à l’Ancien Testament. Une Vierge en majesté, un sceptre à la main, apparaît au centre.
Parmi les figures représentées dans cette rosace, on reconnaît 12 personnages représentant les 12 tribus d’Israël, ainsi que des anges et d’autres personnages de l’Ancien Testament.
La rose Sud, dont les travaux débutent en 1258, est une commande du roi saint Louis. Sa réalisation est confiée à Jean de Chelles puis est reprise à sa mort par Pierre de Montreuil. Cette deuxième rose repose sur le Nouveau Testament. D’un diamètre similaire, elle compte 84 panneaux découpés en quatre cercles concentriques. La grande fragilité d’une pareille création a causé d’importants dégâts au cours du temps et les réparations successives ont bouleversé l’organisation des figures.
Les roses sont considérées comme l’une des réalisations les plus abouties de l’art gothique. Déjà à l’époque, elles sont perçues comme des prouesses techniques telles qu’en 1270 saint Louis retarde son départ pour la deuxième Croisade afin d’avoir la chance de les voir achevées.

1320-1350 : la fin des travaux

L’arc-boutant
L’arc-boutant | © BnF

À la fin du 13e siècle, la cathédrale Notre-Dame de Paris est quasiment terminée : le corps de la nef est bâti, la façade et les tours sont élevées. Il ne reste qu’à finir les aménagements intérieurs et le chevet, extrémité de la nef à l’opposé des portails (également nommée abside). Le chevet de Notre-Dame de Paris est particulièrement travaillé et décoré. Une première partie du travail a été commencé par Pierre de Chelles. Les chapelles sont achevées par son successeur, Jean Ravy, à la fin de la première moitié du 14e siècle.

L’agrandissement de l’abside pose la question du soutènement des murs. La première abside avait été bâtie sans arcs-boutants. Au début du 13e siècle, une première série d’arcs-boutants est construite. Au début du 14e siècle, de nouveaux arcs-boutants sont édifiés pour consolider les murs. Plus haut, d’une volée de 15 m, ils passent au-dessus des deux déambulatoires du chœur et des tribunes, et viennent appuyer leur tête contre le sommet des murs à la base de la toiture. Ils sont sans équivalent dans les édifices gothiques et donnent au chevet de Notre-Dame sa silhouette si reconnaissable.