Les câbles dans un pont suspendu

— par Émile Malézieux

Les câbles et les tiges de suspension, les haubans et les amarres extérieures sont tous et partout formés de câbles en fil de fer. — Les fils sont tordus et non parallèles ; M. John Roebling déclarait qu’à égalité de poids on obtient plus de résistance avec les fils tordus et que le prix de fabrication n’est guère plus élevé.
— Quand les fils ne sont pas continus, mais présentent des soudures, des épissures ou d’autres modes de jonction, c’est toujours là qu’ils se rompent. On a donc tenu à employer des fils continus et d’un seul morceau. La longueur par suite est considérable : elle atteint 582m, 55 au pont de Niagara-Falls. L’ingénieur du pont, M. Samuel Keefer, a fait connaître dans un rapport que ces fils furent fabriqués à Manchester par un procédé nouveau. On avait, dit-il, des tiges de 4, m57 de longueur et de 11 centimètres carrés de section, pesant 65k, 42 : on en tira par une seule opération et en moins d’une minute des fils de la longueur et de la grosseur requises. À cet effet, on chauffait les tiges au rouge blanc dans un fourneau à gaz et on les faisait passer par une série de filières jusqu’à ce qu’ils fussent graduellement réduits à un certain diamètre (le n° 3 des calibres de Birmingham) ; une extrémité de la tige était encore dans le fourneau que l’autre s’enroulait autour de la bobine ; puis le fil était étiré par trois trous et amené ainsi au diamètre de 3"im, 8.
Toujours pour le pont de Niagara-Falls, avec dix-neuf fils (wires) on faisait un brin (strand) et avec sept brins un petit câble ou câble élémentaire (rope). Ce câble élémentaire comprend conséquemment cent trente-trois fils ; il a 59 millimètres de diamètre et 184 de circonférence. Chacun des câbles de suspension (cables) est composé de sept câbles élémentaires et contient neuf cent trente et un fils. — Quand un câble élémentaire du genre de ceux dont il s’agit ici est soumis à l’action d’un poids mort, si le brin central est rectiligne tandis que les autres sont enroulés en spirale alentour, c’est le brin central qui sent le premier l’effort et qui rompt le premier. À raison de cette circonstance, il est d’usage de mettre une âme en chanvre dans les câbles dont se sert la marine. Mais il faut des câbles pleins pour les ponts suspendus, et M. Keefer a fait le brin central en fer doux tandis que les autres sont de fer dur. [Nous ignorons si c’est là un emprunt fait à M. John Roebling.] Le fer doux étant plus ductile, le brin central s’allonge, dit M. Keefer, jusqu’à ce que ceux qui l’entourent soient amenés à un état de tension tels qu’ils travaillent tous ensemble.
M. Roebling, qui était fabricant de câbles en même temps que constructeur de ponts, s’attache spécialement à signaler le mode d’attache qu’il a imaginé, qu’il a pratiqué avec succès pendant vingt-sept ans, et qu’il croit supérieur à tous ceux usités en Europe. Le système consiste en une plaque de fer (socket) percée d’un trou conique dans lequel on engage l’extrémité ducâble ; le plus petit diamètre du trou est un peu supérieur à celui du câble, le plus grand est le double de l’autre. On épanouit les fils dans l’intérieur du cône et on y chasse des clous en fer de manière que la cavité soit parfaitement remplie ; on commence par des clous occupant toute la longueur et on achève avec d’autres qui sont plus petits et plus minces ; les fils sont huilés ainsi que les clous ; ceux-ci sont arrondis à la lime. À la fin on retourne à angle droit sur la tête des clous les bouts des fils qui font saillie sur la plaque ; puis on coule du plomb qui achève de remplir les vides, et on mate soigneusement.

Travaux publics des États-Unis d’Amérique en 1 870, rapport de mission, Émile Malézieux