Visite d’un temple maya

— par Désiré Charnay

En 1850, le photographe explorateur français Désiré Charnay découvre les civilisations précolombiennes alors qu’il enseigne le français à La Nouvelle-Orléans. Il part au Mexique entre 1857 et 1860 et y photographie, souvent pour la première fois, les vestiges des anciennes cités.

“Voilà, dit Frémont, un palais magnifique. ”
Celle galerie avait, en effet, près de vingt-cinq mètres de longueur ; elle était percée de cinq ouvertures et soutenue par six gros piliers, dont les deux aux angles étaient couverts d’hiéroglyphes et les quatre autres de bas-reliefs. Sur le sol, au lieu de ciment, s’étalaient de superbes dalles de trois mètres de long sur deux de large, finement, jointes et admirablement polies.
“C’est, dit Taylor, l’édifice le mieux conservé de la ville de Palenqué, encore qu’il soit en bien mauvais état ; mais enfin il est entier. On l’appelle le temple des Inscriptions ; c’est du moins le nom que lui a donné le plus célèbre de nos explorateurs, John L. Slephens, mon compatriote, que j’ai beaucoup connu et dont l’intéressante relation a certainement décidé mon voyage.
— C’était bien le nom le plus rationnel à lui donner, dit Sulpice en désignant le mur de la galerie occupé de chaque côté par d’immenses panneaux couverts d’hiéroglyphes.
— Quel âge peuvent avoir ces temples et ces palais ? demanda Éléonore, des milliers d’années, sans doute ? ils paraissent si vieux !
— C’est ce que certains voyageurs ont prétendu, répondit Taylor, mais c’est une erreur ; leur état de vétusté ne prouve rien ; tout dépend du milieu où ils se trouvent et des matériaux employés dans leur construction. On ne saurait comparer ces monuments à ceux d’Égypte, composés d’un granit indestructible, élevés dans un climat sec et conservateur. Ceux-là sont éternels, tandis que ceux-ci ne pouvaient être que passagers. Examinez ces murailles, tout épaisses qu’elles sont, composées de petites pierres et de mortier, revêtues de ciment ; songez à ce climat destructeur par excellence, pluies torrentielles, vents terribles, orages de chaque jour, végétation dévorante, et vous comprendrez que de tels monuments, une fois abandonnés, livrés à eux-mêmes, sans réparations d’aucune sorte, n’ont pu braver pendant de longs siècles toutes ces causes réunies d’anéantissement. Non, Nina, ces monuments sont jeunes.
— Jeunes ? fit Pancho.
— Relativement, du moins, mon petit ami ; c’était l’opinion de notre maître Stephens, dont je vous parlais tout à l’heure et qui, d’accord avec l’histoire, les faisait remonter du 11e au 12e siècle, ce qui leur prêterait un âge moyen de six cents ans.
— C’est même beaucoup, dit Sulpice.
— Mais, dit l’enfant, il y aurait une manière bien simple de s’en assurer.
— Et laquelle, petit malin ? lui demanda son père.
— En lisant les inscriptions, parbleu !
— C’est parfait ; veux-tu t’en charger ?
— Oh ! papa, tu le moques de moi : je sais bien que je ne suis qu’un ignorant ; mais Sulpice m’a dit maintes fois, au sujet de l’histoire ancienne, que des savants, dont le nom m’échappe…
— Champollion, dit Éléonore.
— Oui, petite sœur, Champollion ; eh bien, que Champollion avait lu les hiéroglyphes d’Égypte, que personne avant lui n’avait pu déchiffrer.
— Oui, mon enfant, répondit Sulpice ; mais, en dehors du génie de l’homme, il faut faire la part des circonstances heureuses qui ont facilité la découverte dont tu parles ; et tu as oublié, sans doute, une certaine pierre qui se trouve mêlée à l’histoire de cette grande découverte : la pierre de Rosette, sur laquelle se trouvaient trois inscriptions, l’une en caractères hiéroglyphiques, l’autre en égyptien vulgaire, et l’autre en grec, de sorte que l’on put passer de la troisième, connue, à la seconde et à la première. Nous ne pouvons que souhaiter aux savants qui s’occupent de l’Amérique cette même rencontre heureuse, une inscription bilingue ou trilingue, comme on les appelle, une pierre de Rosette, en un mot, sans laquelle tous leurs efforts, tous leurs essais de déchiffrement risquent de rester vains.

À travers les forêts vierges : aventures d’une famille en voyage, Désiré Charnay, 1898