L’ascension de M. Baslèvre

— par Édouard Estaunié

Mystérieuse destinée des grandes choses. Jadis, tout Paris a déferlé sous les arcades basses qui lui servent de ceinture. Le roi et la reine y avaient leurs pavillons. Habitaient là des ministres comme Sully ou Richelieu ou des courtisans notoires, tels que Boufflers, Tessé, Bussy et combien d’autres ; Marion Delorme, elle-même, dut se montrer à l’un des balcons en fer forgé dont la plupart animent encore la ligne rigide des façades.
Mais, la Révolution ayant passé, quelle chute de silence ! En vain Rachel, puis Théophile Gautier ou Victor Hugo ont-ils tenté de rendre à l’enclos déserté une vogue éphémère : eux partis, un abandon définitif s’est appesanti sur ce lieu plein d’histoire.
Aujourd’hui, les hôtels muets entourent un maigre square avec un kiosque sans musique. Là où se battirent autrefois les ligueurs et les mignons, de futurs boutiquiers jouent au cerceau ou salissent le gravier de leurs ordures. Ne viennent plus que des habitués du quartier, de petites gens qui se saluent comme sur un mail de province.
Une paix mélancolique et morne s’exhale des arbres maigres, des bancs mal tenus, du pavé verdissant. Et, n’était le grondement continu du quartier Saint-Antoine, invisible quoique si proche, on pourrait se croire dans une sous-préfecture.

Édouard Estaunié. L’ascension de M. Baslèvre. Paris ; Perrin, 1 925, p. 3