Témoignage : souvenirs du chantier

— par Léon Bélard

"J’ai le souvenir de quatre ou cinq voyages que je fis à Garabit, avec mes parents ou autres personnes de chez nous, car on allait nombreux de Saint-Flour à Garabit. Tout pour moi était sujet d’étonnement, à commencer par ces innombrables maisons en bois – les cambuses – échelonnées le long de la route, dans lesquelles logeaient les 2 ou 300 hommes de l’entreprise. Avec quelle curiosité mes yeux perçants d’enfant suivaient ces hommes juchés sur des échafaudages à des hauteurs vertigineuses ! J’éprouvais un frisson quand je les voyais au bord de l’abîme ou suspendus dans le vide ; il y avait bien les filets protecteurs de chute, mais… j’entendais la cadence du martelage des rivets, les coups de corne ou de cloche par lesquels se transmettaient certains ordres, le sifflement des machines à vapeur, pompeuses de l’eau de la Truyère, ou broyeuses de mortier ; je me garais, comme figé, sur le bord de la route, pour voir passer les lourds camions de fers, traînés par 6 ou 7 chevaux, et qui venaient d’une traite de Neussargues à Saint-Flour – 31 kilomètres. – D’une traite non, car il y avait des auberges en cours de route, et vous pensez que les rouliers ne les évitaient point. Ah ! Ces vieilles auberges ; ce fut le bon temps pour elles : je crois bien que le pinard qu’on y distilla à cette époque aurait actionné un moulin pendant plusieurs jours … Mais […] ; ce sont là des souvenirs d’enfance bien estompés aujourd’hui… "

Témoignage de Léon Bélard, archiviste-bibliothécaire et secrétaire au Syndicat d’initiatives de Saint-Flour. Le Courrier d’Auvergne, 28 septembre 1932