Le Tour de France par deux enfants

— G. Bruno

André ne savait guère conduire ; mais le gendarme lui expliqua comment faire, et il s’appliqua si bien que tout alla à merveille. On arriva à Besançon le plus gaiement du monde. Julien remarqua que cette ville est une place forte et qu’elle est toute entourée par le Doubs, sauf d’un côté ; mais de ce côté-là, la citadelle se dresse sur une grande masse de rochers pour défendre la ville. Julien, quoique bien jeune, avait déjà assisté au siège de Phalsbourg : aussi les places fortes l’intéressaient. Il admira beaucoup Besançon, et, en lui-même, il était content de voir que la France avait l’air bien protégée de ce côté.
[…] Après déjeuner, on quitta Besançon. Pierrot marchait bon train comme un animal vigoureux et bien soigné. Julien et André regardaient avec grand plaisir le pays montagneux de la Franche-Comté, car ils étaient assis tous les deux à côté du patron sur le devant de la voiture, d’où ils découvraient l’horizon.
À chaque étape du voyage, on déchargeait la voiture, et chacun, suivant ses forces, le patron aussi, allait porter dans les divers magasins les marchandises qu’on avait amenées. Il fallait faire bien des courses fatigantes, et souvent assez tard dans la soirée ; mais le patron était juste : il nourrissait bien les enfants, et on dormait dans de bons lits. Nos deux orphelins étaient si heureux de gagner leur nourriture et leur voyage qu’ils en oubliaient la fatigue. On s’arrêta à Lons-le-Saulnier et à Salins, qui doivent leurs noms et leur prospérité à leurs puits de sel. Les enfants purent voir en passant ces grands puits d’où on tire sans cesse l’eau salée, pour la faire évaporer dans des chaudières.

G. Bruno, Le Tour de France par deux enfants, 1 877