Escurial

— par Michel de Guelderode

LE ROI, debout. – que me reste-t-il si mon bouffon devient triste et gagne sommeil ? Et qu’est-ce que cela te fait que la reine meure, que la Mort travaille ?... Ne croirait-on pas que c’est ta femme ou ta fille qui s’en va au royaume des vers ? (Colérique.) Une face, invente !...
FOLIAL, se levant. – Une farce, profonde et brève, la dernière dont je me sens capable... Nous la jouerons à deux, Sire (Il salue un public imaginaire, et commence une pantomime par laquelle il présente le roi et se présente lui-même. Puis il pirouette et sautille sur les marches.) Dans mon pays, au temps du Carême, on choisit un innocent qu’on nantit d’oripeaux, une couronne, un sceptre. Et de cet innocent, on fait un roi ! Un roi qu’on fête et mène à son trône illusoire. Tous les honneurs lui sont rendus. La racaille défile, intrigue, flatte, acclame. Le roi boit, il se gonfle de bière et de gloriole. Et lorsqu’il est bien infatué de son destin... (Il bondit vers le roi.) on jette à bas sa couronne... (Il arrache la couronne et la fait rouler sur les marches.) on lui reprend le sceptre (Il arrache le sceptre des mains du roi.) pour en refaire un homme comme devant !... (Il recule.) Ainsi que je viens de faire. (Mielleux) Comprenez-vous ? Vous n’êtes plus qu’un homme, et combien laid !

Escurial, Michel de Guelderode, 1 927, Actes Sud Babel, 1 987