Deux architectes pour un bâtiment

Vue perspective du Château Royal de Tolède (Alcazar)
Vue perspective du Château Royal de Tolède (Alcazar) |

© BnF

L’Escurial n’est pas l’œuvre d’un seul homme. Plusieurs architectes, dont deux principaux, se succèdent au cours de la conception et du chantier.

Juan Bautista de Toledo, un architecte humaniste

Comme beaucoup de ses confrères à la Renaissance, Juan Bautista de Toledo (1515-1567) s’imprègne de la culture humaniste en étudiant à la fois l’architecture, les mathématiques, la géométrie, les lettres et les arts. Il complète sa formation par un séjour de plusieurs années en Italie, où il commence à travailler auprès du grand Michel-Ange, entre 1534 et 1541, puis pour le vice-roi de Naples. De retour en Espagne en 1559, il entre rapidement au service de Philippe II et devient "maestro mayor" de l’Escurial. Très impliqué, le roi Philippe II exige un rythme de travail particulièrement soutenu et de très nombreux dessins que Bautista, submergé de travail, rend de plus en plus en retard.

Juan de Herrera, architecte et stratège

Formé par Bautista, Juan de Herrera devient en 1547 architecte du roi et de la Cour. Cet hidalgo issu de la petite noblesse espagnole, peu fortuné, parvient, par des amitiés solides et un mariage avantageux à mener une brillante carrière. Militaire de formation, il apprend, au cours des campagnes, des exercices et des batailles, à dessiner. En compagnie de Philippe II, Herrera voyage à partir de 1548 à travers l’Espagne, part à Bruxelles (qui fait alors partie des provinces de la couronne d’Espagne) et en Italie où il est introduit auprès du monde et de la cour.

La grand Place de Madrid (Plaza Mayor)
La grand Place de Madrid (Plaza Mayor) |

© BnF

Comme Bautista, Herrera est un homme de la Renaissance : parallèlement à une carrière militaire, il étudie les lettres, les sciences et les arts. Sa bibliothèque personnelle, qui compte des ouvrages d’optique, de perspective, d’astronomie, de géométrie, d’hydraulique, d’arithmétique, de mécanique, de musique, de magie, d’astrologie, de traités et de relevés d’architecture, témoigne encore une fois de sa culture humaniste. Comme Léonard de Vinci, Herrera rédige des traités sur les fortifications et invente des grues et engins de levage pour transporter et poser les énormes blocs de pierre sur les chantiers. Jusqu’à la fin de sa vie, il construit pour la couronne d’Espagne : en plus de l’Escurial, on lui doit la cathédrale de Valladolid, l’Alcazar de Tolède, la Plaza Mayor de Madrid ou encore le pont de Ségovie, toujours à Madrid.

Le style Herrerien

Au cours de sa carrière, Juan de Herrera développe un langage architectural propre, qui devient très vite sa "signature". Il abandonne complètement les riches ornements qui caractérisaient l’architecture espagnole jusqu’alors pour proposer des bâtiments sobres, majestueux, avec de grands pans de murs nus et lisses, régulièrement percés par des ouvertures. Les portes principales et les façades d’églises sont traitées avec simplicité et grandeur : des colonnes monumentales, engagées dans les murs, supportent les entablements et les frontons. On a parfois parlé (de façon un peu péjorative) de "style sévère" ("Estilo desornamentado") ; en réalité, l’architecte cherche à atteindre la perfection et à renouer avec la justesse des proportions, la rigueur géométrique et l’équilibre des formes, que ce soit pour le plan d’ensemble, les façades, ou même les dimensions des baies, des portes et les moulures. Ainsi, la hauteur de "casa de oficios" (un des bâtiments de l’Escurial) correspond exactement à la moitié de la largeur de la place qui se trouve devant. Les baies carrées qui rythment la façade extérieure pourraient aussi rappeler la position des notes de musique sur une partition… Le style herrerien s’impose sur de nombreux bâtiments de la couronne espagnole au point d’en devenir l’expression nationale pour plusieurs décennies